samedi 3 septembre 2016

3- Une journée divine




Le long de la rivière Kir, le canal d'irrigation, qui prélève l'eau en amont et suit une pente minime, s'élève peu à peu au-dessus du cours. En Iran, il nous servait de sentier et, même si c'était avec insouciance et sans savoir quels usages nous enfreignions, nous passions pour des pionniers en avançant dans l'eau à contre-courant. A vrai dire, nous l'étions : personne d'autre que nous n'a prétendu parcourir un pays les pieds dans une canalisation. Alors je regrette bien d'avoir rejoint l'asphalte quand je vois sur l'autre rive un trajet si bien dessiné.


Pourtant l'asphalte a du bon ! On y fait sécher les herbes aromatiques et le thé des montagnes, parfois au milieu même de la route comme vous le voyez en arrière-plan. Faisons ensemble les déductions dont vous tirerez parti quand vous partirez en Albanie, séduits par mon enthousiasme. 
1 - A l'évidence, l'Albanie est un pays sec et ensoleillé, conditions favorables pour camper, faire lessive et toilette, déplier la tente, ranimer le feu de camp, déambuler en chantonnant. Le paradis du globe-trotteur !
2 - A l'évidence encore, l'asphalte n'a pas pour fonction première le trafic routier. Pour servir de dessiccateur les routes couvertes d'asphalte sont forcément désertes, paisibles, et d'autant plus sûres. 
Je vais bientôt apprendre à mes dépens que mes déductions sont pour le moins optimistes...


Soudain, je change de monde ! 
Non, en fait, je ne change pas de monde, car la mixité, la tolérance et le pragmatisme sont bel et bien albanais : après être passé chez le Prophète, j'entre en terre de chrétienté. Quelques usages les distingueront, mais toujours, d'un côté comme de l'autre, on me montrera les deux mains, droite et gauche, imbriquées pour me faire comprendre qu'islam et christianisme n'ont qu'un Dieu, ne sont qu'un peuple. Je devine que la religion, vécue dans le bonheur, est un plaisir retrouvé, et qu'Enver Hoxha se retourne dans sa tombe, tourmenté par la canonisation de Mère Térésa.



 Voilà les représentants d'un "usage" non partagé. 
De quoi faire un saucisson, pas de quoi en faire un fromage !

Dans la première église, catholique de surcroît, les cloches sont exubérantes, au gré des gesticulation d'un jeune carillonneur. J'y suis reçu comme le fils prodigue par une religieuse et un prêtre francophone. Il m'apprend que le village de Prekal compte 25 fidèles. Comme je suis assez mal embouché pour déplorer un si petit chiffre, il le rapporte à la population restreinte et s'en félicite. Je fais amende honorable, il me reste à verser une obole pour mon scepticisme coupable. De fait, la photo du chœur est floue.


J'ai quitté l'asphalte en sortant de l'église pour suivre une dangereuse piste de cailloux, qui va monter en encorbellement dans une étroite vallée très verdoyante, avec des à-pics vertigineux. La piste n'est pas dangereuse pour moi qui croiserai peu de véhicules, lents, bruyants et encombrés de marchandises. Au débouché des sentiers et des passerelles, les villageois des hameaux isolés les chargeront sur leur dos pour gravir les dernières dizaines de kilomètres.


Sur la rivière Kir, cette passerelle mène, en vingt kilomètres d'ascension depuis Prekal, au village de Suma, où officie le même prêtre.
Prêtre albanais tu es, bon marcheur tu seras !
Bien sûr, je nage dans cette eau fraîche, claire et verte. Vous l'aviez deviné.


Tout le long de cette mauvaise piste,  qu'empruntent péniblement les minibus desservant les villages, fleurissent, de 350 mètres en 350 mètres, les stèles commémoratives des accidents qui ont vu tomber dans le ravin, 70 mètres plus bas, véhicules et passagers. Les routes et les pistes de caillasse albanaises détiendraient ainsi un triste record, malgré ces incitations sinistres à la prudence. La vitesse ne pouvant en être la cause, je suppose que c'est le verglas hivernal qui en est responsable.


Le nombre élevé de passagers évoque
l'accident d'un car ou d'un minibus.




Voilà une vasque ! Deux ablutions par jour, sous ce soleil,
sous le sac, en ascension constante, ne sont pas un luxe. 
Mes préoccupations hygiéniques vous rassurent-elles ?

Dans les petits troquets perdus en montagne, vous attend une apparition, le tenancier. Celui que vous ne verrez pas, après s'être contemplé, a considéré qu'il n'était pas assez beau sur la photo que j'ai dû détruire, et, à vrai dire, je ne vois pas sur quelle photo il aurait pu être beau. Pour lui donner  quand même l'exemple, je lui demande de me photographier à mon tour, et lui dis en vain que je ne suis pas mieux vêtu, ni que je ressemble à un tenancier, ni même à une apparition. Mes arguments lui semblent confus, il refuse de poser ! De voyage en voyage, je finis par croire que ces préoccupations esthétiques sont l'apanage des hommes, et non des femmes. Comme les oiseaux, les hommes auraient-ils un plumage multicolore ?



Le petit foyer allumé vers 17h permet une pause reconstituante. Je me délecte de mon porc au poivre vert, sans remords puisque je suis catholique. J'ai rempli la thermos d'eau bouillante pour le thé du matin, avant d'entamer la dernière heure de marche vespérale puis la recherche d'un carré de gazon pour camper.

Mon jardin est fleuri, enclos, abrité, sous le dernier éclat du jour.
Je sais que tout cela vous fait envie !

Ascension de 135 à 787 mètres d'altitude.

1 commentaire:

  1. Bonjour Pierre,
    ça fait plaisir de retrouver ton blog. J'ai suivi tes aventures "en direct" dans tes courriels et maintenant je lis la version finale avec apostrophes et accents dans le texte enrichi de sympathiques photos.
    Il était si vilain le tenancier ou alors tu n'as pas su choisir son meilleur profil pour l'immortaliser ?
    J'attends la suite ....

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