lundi 5 septembre 2016

5- Aldo et Aurel sont jumeaux

 Dans le village de Nderlysaj, je découvre un petit moulin à grains qui utilise un canal de dérivation. 

 Le canal fuit, mais la ressource ne risque pas d'être entamée.

Vous voyez la jonction moderne entre le canal et le moulin :
un gros tuyau rouillé,
probablement moins moderne que ce que j'affirme.


Sans trop de scrupules, sans âme qui vive aux alentours, j'ouvre la porte qui n'est pas cadenassée, pour contempler le mécanisme. Je suppose que ce n'est pas une propriété privée, et que l'usage en est collectif, mais j'avoue que je n'ai rien à moudre et que j'en deviens un peu suspect...


Ce villageois à qui je demande, cinq minutes plus tard, mon chemin pour le col de Thores, me fait un bout de conduite qui repasse devant le moulin, et se fait un plaisir de m'inviter à voir en action la meule que je n'avais pas osé lancer. C'était pourtant une simple manette qui aurait broyé... mes carambars (rien d'autre sous la main, je l'ai dit, pour faire le test et engluer le mécanisme). A vrai dire, je suis émerveillé par l'ingéniosité et la simplicité des outils de nos ancêtres.


Une ascension modérée, le long de ce torrent, va me mener en 6 km, à une vasque limpide où je sais que plonge tout amateur de sport nautique. J'apprends, sur place, qu'elle se nomme le "Blue Eye", en albanais : Sy blu. Le lieu est effectivement aménagé, même s'il est désert en ce moment, puisque j'y trouve une cabine de déshabillage, que j'utilise uniquement pour la tester, une échelle qui mène à un café, et une terrasse qui surplombe l'eau.

La vasque sous la maison de Martin,
que je vais vous présenter.


L'eau a une séduction irrésistible comme vous voyez. Je plonge avec délice, et je suis bien stimulé. J'en ai fait part dans le message qui suit :


J’ai rencontré un australien, post-adolescent, solitaire comme moi mais civil, partiellement décoloré, et tatoué des pieds à la tête, sauf le visage et les fesses.
Le visage, ça se comprend dans mon imaginaire,
mais les fesses ?
Tatoué ainsi donne l’impression d’être moins sale, parait-il.
Je n’en suis pas sûr, mais si j’ai vu ses fesses, en tout bien tout honneur, c’est que nous avons nagé dans le Blue-Eye, pas celui de Saranda, celui de Nderlisaj.
Celui de Saranda est chaud grâce à son geyser, 12 degrés.
Le notre était bien blue, oui, et attractif, oui, sous un rayon de soleil bienvenu, oui.
Et si j’ai devancé l’australien dans l’eau, j’ai pu lui dire que ce n’était pas pour lui, y a que les bretons et les norvégiens pour supporter ça, mais il a plongé sans réfléchir, moi non plus, et il a enfin compris (mon anglais est-il si mauvais ?), car il est ressorti comme un poisson volant pour atterrir illico sur le rocher. Je n’ai pas ce don aéronatatoire, et j’avais dû traverser l’Eye dans sa longueur, j’étais arrivé congelé, figé, excentré.
Oui, l’eau est officiellement à 5 degrés, j’aurais dit 6. 
En conclusion, les tatouages ne préservent pas des frissons, et les poissons pas volants sont revivifiés au raki.



Au-dessus du Blue-Eye en effet, dans une prouesse de canalisations qui franchissent les failles grâce à des troncs évidés, vit la famille Shullani (qui s’écrit Shullni) dont les deux derniers enfants, Aldo et Aurel, sont des jumeaux, et les trois précédents, Albert, Sidorela et Emiliane, sont absents.

Les troncs évidés qui canalisent l'eau
vers la maison et les cultures.

La maison de Martin et Drita.


Le père, Martin, bat toute la journée des haricots avec un bâton, sur un treillis de branches très rudimentaire, car les haricots sont cueillis avec leurs feuillages, et ils tombent sous le treillis bien blancs (et appétissants).  






Il n’y a personne qui monte jusqu’à la maison de Martin ( quel curieux ! *), et tout pimpant que j’étais après le bain, j’ai été récompensé par un verre de raki et une tasse de café turc. Je bois tout ça comme une potion reconstituante et calorique, habituellement.
* : C'est de moi qu'il s'agit, bien sûr.


Mais ce raki-là, c’était à vous arracher la gorge et, que dire ?, un peu perturbant (pour moi, n’est-ce pas, Yvon ?), j’ai failli traverser la faille sur le tronc évidé, qui n’est pas celui d’un baobab.
Pas non plus celui d’un maigre bouleau, donc j’étais quand même encore assez réaliste. La maman des jumeaux, qui s'appelle Drita, m'a dit que non, c'était pas une si bonne idée que ça, tout en albanais, et, raki ou pas, j'ai eu le don des langues un bref instant bien choisi, je suis là.



Je reprends ensuite mon ascension vers le col "Qafa i Thores" qui culmine à 1670 mètres (Qafa, que vous prononcerez Tchiafa, signifiant col), à travers une somptueuse forêt de feuillus. Je crois que les plus grands et les plus beaux arbres sont des charmes.



La pente s'accentue rapidement, et il fait chaud malgré le couvert des arbres. Le sac me colle au dos. Je fais sécher ma chemise et ma peau à chaque halte.


Je vais avoir la bonne idée de me préparer un repas complet au milieu de l'après-midi. Un quart d'heure plus tard, ç'aurait été trop tard.
Je vous donne la recette : vous surchargez votre sac avec 3kg de dried food, les aliments lyophilisés. Manger ou gambader, il faut choisir. Moi, j'ai choisi : manger est indispensable vu mes réserves personnelles médiocres, donc pas question de gambader, je me traîne en pestant.
Vous avez donc dans le sac toute une carte gastronomique, vous y choisissez le menu.
Vous regroupez quelques pierres pour construire un foyer, vous cassez quelques branches bien sèches, vous craquez une allumette sur les allume-feu (n'oubliez surtout pas les allumettes et les allume-feu en préparant votre sac à Roscoff !). Le feu prend facilement, au pire vous soufflez un peu dessus. Vous avez une casserole (ne pas l'oublier à Roscoff !) et de l'eau (sur place !) : l'eau bout en deux minutes. Vous la versez dans le sachet jusqu'au trait préconisé, et vous remuez. Vous refermez ce sachet. Vous attendez dix minutes. Vous rouvrez le sachet. Le repas est prêt et délicieux. Vous dégustez dans le sachet (pas d'assiette dans le sac préparé à Roscoff...), avec une cuiller gravée, unique et indispensable, que vous avez trouvée par terre quelque part en Iran (ne pas l'oublier à Roscoff !).


Ce repas est une pause : Je coupe la journée en deux. En fait, elle se coupe elle-même, vous le saurez demain.




...




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