dimanche 18 septembre 2016

18- Sur le mur, ne sois pas une pierre de plus !


Arrivé à Tirana, je parcours mes derniers kilomètres à pied, avec le sac sur le dos, depuis la gare routière jusqu'à la chambre d'hôte que j'ai réservée sur internet. J'aurai parcouru plus de 300 kilomètres à pied, sans compter les piétinements en ville : en moyenne 21 km par jour. Le ciel a voulu que ce soit mon plus court voyage à pied.
La chambre d'hôte se situe au 30 Rruga Pjetër Budi. Surpris, je découvre que les numéros ne sont pas attribués dans l'ordre : le 11 succède au 32, et le 5 voisine avec le 72, je m'y perds, personne ne situe le 30 ! Je dois chercher un cybercafé, retrouver ma réservation en ligne pour obtenir un n° de téléphone, demander à quelqu'un d'appeler, puis attendre qu'on vienne me chercher. J'apprendrai qu'aucun touriste n'a jamais trouvé cette guest-house seul...


Tirana est célèbre pour avoir explosé de couleurs et de joie après la chute de la dictature. Les immeubles ont été bariolés frénétiquement dans des harmonies crues qui me séduisent le plus souvent.



J’arrive devant lui en sandales qu’il regarde dépité. Mes sandales ont fini par sécher, ne sont pas trop dépenaillées, et, si elles sont en cuir, ce dont je doute, ce n’est pas du cuir ciré. Il faut dire que, lui,  je l’avais cherché deux jours d’affilée, à diverses heures de la journée, dans Shkodër. Et voilà que je le trouve à Tirana, à la descente du car dans lequel j’ai juste eu le temps de sauter.
J’arrive devant lui en sandales, et je le console : j’ouvre mon sac, je sors mes godillots.
Mes godillots sont gris, et lui il est cireur de godillots. 
Mes godillots sont avachis, et lui soigne les godillots.
Il a un grand sourire et je lui donne sur le champ sans réfléchir un rendez-vous avec Yvon. Il s’extasie sur des godillots si mal embouchés, il va avoir fort à faire.
Il y passe une heure et je rôtis au soleil de Tirana. 
Il y passe une couche généreuse de cirage. 
Les godillots rôtissent au soleil pendant dix minutes.
Il y passe, une fois rôtis, une deuxième couche de cirage généreuse. Dommage, elle est acajou, ça change leur teint initial qui était chocolat, tant pis, c’est mieux que gris.
Il les frotte, il les frotte, n’utilise pas de brosse. C’est vrai qu’ils brillent, tout acajou qu’ils soient. J’ai photographié mes godillots avant, pendant, après.
Le cirage coûte très cher en Albanie, cette fois je me fais rouler dans la farine, c’est mieux qu’être enduit de cirage acajou, mais quand même il exagère, presque deux aller-retours Shkodra-Tirana pour un lifting et une teinture démodée ! 
Il est ravi et m’embrasse à pleine joue, me serre dans ses bras, et j’essaye de faire bonne figure. 
Les promiscuités, ce n’est pas ma tasse de thé.




Du haut de la tour de l'horloge,
la vue sur Tirana est une carte à ciel ouvert.

La place Skanderbeg et les ministères


Je domine le dôme de la mosquée Et'hem Bey et la statue équestre de Skanderbeg, qui est le héros national pour sa résistance à l'empire ottoman, et sa fédération des seigneurs albanais. Il ferait presque concurrence à Mère Térésa par son omniprésence.

Les travaux d'aménagement du centre-ville
et le musée historique.



Boulevard du roi Zog 1er, et rue du derviche Hatixhe

Enver Hoxha doit se retourner dans sa tombe quand il voit l'évolution du pays. Alors qu'il avait interdit tout sentiment religieux, allant jusqu'à proscrire certains prénoms comme Marie et Anne, les avenues portent maintenant des noms qu'il aurait exécrés :  Jeanne d'Arc, Jean-Paul II, derviche Hatixhe, etc. (Le Roi Zog a lui aussi son boulevard). Les nouvelles constructions religieuses, cathédrales et mosquées, se multiplient partout et s'offrent une ampleur imposante, presque ostentatoire, dans la capitale. Bien que, semble-t-il,  la fréquentation des cérémonies reste modeste, je déduis de ce regain et de cette renaissance religieux une soif spirituelle inextinguible de la nature humaine.

Avenue du Pape Jean-Paul II

Cathédrale orthodoxe

Future Grande Mosquée

Cathédrale catholique

La mosquée Et'hem Bey, somptueuse par ses fresques,
a bien sûr été fermée au culte sous la dictature, mais épargnée
pour ses qualités historiques et patrimoniales.



La corruption, la nostalgie des apparatchiks, les désirs de revanche sont des freins préjudiciables pour ce peuple qui met son espoir dans la démocratie, la liberté, l'Europe, et la découverte du monde. Avec émotion, je lis, sur un mur de la capitale, le slogan le plus imaginatif et le plus généreux qui soit :


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